Méduse
Margaux knittel
« Tu ne m’as pas vue. Tu as joué de ruses et néanmoins je te dis merci. Morte, non seulement ma face conservera son pouvoir mais tu l’auras renforcé en me tuant. Ma face étant la mort pour ceux qui la voient, tu vas ajouter ma propre mort à mon visage. Je crains que tu n’aies le regret de ta conduite. Réfléchis encore. [...] Regarde moi ! »
Petit traité sur méduse, Pascal Quignard
la tête de la Gorgone
« Parmi les chefs-d’oeuvre de l’époque moderne, la tête sanglante de la Gorgone est une image familière, souvent investie de toutes sorte d’interrogations portant sur le pouvoir qu’a l’artiste de représenter un objet que personne ne devrait regarder » note Mary Beard dans Les femmes et le pouvoir.
Si nous nous inspirons ici de la Méduse de Rubens, c’est en se délestant de la terreur et du dégoût que l’oeuvre inspire pour lui insuffler une dimension de fragilité dans la monstruosité. Loin de l’horreur, on lit dans le regard, certes pétrifiant, de Méduse, une étincelle d’humanité qui survit dans ce qui a été détruit par les autres. Méduse n’est pas ici un trophée mais le drame d’une femme dépossédée de son pouvoir.
« La tête de Méduse peinte par le Caravage a été maintes fois utilisée pour “décapiter” des femmes politiques »
de la monstruosité
Dans les deux versions du mythe, Méduse ne naît pas monstre mais le devient suite à l’intervention d’Athéna. La jeune femme voit sa chevelure transformée en serpents car sa beauté et sa vanité auraient offensé la déesse, ou dans un autre récit tragique, parce qu’elle a été violée par Poséidon dans le temple d’Athéna, la déesse vierge.
Dans les deux cas, ce mythe témoigne plus de la monstruosité d’une société patriarcale que de la supposée sienne. Muselée, parce que femme, réduite au silence et à l’exil, Méduse est “l’un des plus puissants symboles de l’Antiquité au moyen desquels la domination masculine faisait alors valoir ses droits sur le péril destructeur que représentait la possibilité même d’un pouvoir féminin.” (Mary Beard, Les femmes et le pouvoir).
Mais l’histoire de Méduse n’est racontée que dans celle des autres : Athéna, Persée. Son image est réduite à celle de sa tête décapitée, une figure fuyante, l’attribut d’autrui. Nous avons ici souhaité lui donner un corps et raconter Méduse avant l’événement tragique, en somme, lui restituer son humanité et son intégrité. Nous faisons de Méduse une figure centrale, le personnage principal de sa propre histoire : de l’effroi causé par le bouclier de Persée à l’acceptation de son pouvoir, en passant par le questionnement de sa monstruosité.
Le buste que Le Bernin lui consacre vers 1640 rompt avec les représentations terrifiantes de Méduse décapitée et inverse la perspective du mythe en présentant une jeune femme en proie à une souffrance et une angoisse profonde.
Un mouvement d’empathie envers le personnage de Méduse se fait ressentir à partir du XIXe siècle. La terreur se lit chez Alice Pike Barnay dans le visage de Méduse et elle ne l’inspire pas au spectateur. C’est cependant toujours sa tête seule qui sert à représenter Méduse.
Alice Pike barnay, Medusa, 1892
Harriet Hosmer, Medusa, vers 1854
La sculptrice Harriet Hosmer et l’une des rares artistes à représenter Méduse non pas au moment de la décapitation ou à la suite de celle-ci, mais au moment de sa transformation.
Notons que c’est essentiellement chez les peintresses et sculptrices que la figure de méduse est traitée avec humanité et compassion.
Donner un corps à Méduse est une façon de lui rendre son humanité et de la représenter en tant qu'individu à part entière
réécrire le mythe
Le mythe de Méduse n’a été relaté qu’en grande partie par des hommes. Tel que nous le connaissons, il est le reflet d’une société profondément patriarcale, celle de l’Olympe (ouranienne, céleste) alors même que Méduse serait issue d’une société pré-olympienne plutôt matriarcale (tellurique, chtonienne).
Par le biais du female gaze (regard féminin), nous – trois femmes – proposons de réécrire et de raconter l’histoire de la Gorgone. Ensemble, nous avons voulu dépeindre une Méduse qui se défait brutalement de sa monstruosité, imposée par les hommes et les dieux. Affranchie de ce qui fait d’elle un monstre, elle s’empare du pouvoir qui lui avait été conféré initialement comme une malédiction.
Sa tête n’est plus la propriété d’un Persée ou d’une Athéna, elle n’est pas une arme à disposition d’un tiers mais bien un pouvoir que Méduse seule détient et maîtrise.
Quant à la structure et la pose, nous avons été très inspirées par les affiches d’Alfons Mucha pour les pièces où jouait Sarah Bernhardt, notamment Médée, une autre femme de la mythologie considérée comme un monstre, au théâtre de la Renaissance.
sources et références
Cette bibliographie n’est pas une liste exhaustive mais simplement quelques ouvrages que nous avons utilisés pour réaliser nos recherches et cette série de photographies.
— Pascal Quignard, Le Nom sur le bout de la langue (« Petit traité sur Méduse », IV), 1993.
— Mary Beard, Les femmes et le pouvoir, 2017.