Artemisia Gentileschi (1593-1656)

Peintresses

un tableau qu'aucun homme n'aurait pu peindre

le triomphe de l'autoportrait

Dans le projet PEINTRESSES, nous souhaitons mettre l’accent sur une pratique très répandue, qui, si elle n’est pas spécifique aux peintresses, est néanmoins essentielle : celle de l’autoportrait.

Celui d’Artemisia est à notre sens un des plus percutants car elle ne se représente pas uniquement en tant que peintresse : elle est la peinture (Pittura).

Il n’aurait pu être réalisé par un homme pour la simple raison que l’allégorie de la peinture qui émerge au XVIe siècle est féminine.

« Mais je montererai à Votre Seigneurie ce qu’une femme sait faire. Mes œuvres parleront d’elles-mêmes ! »

Artemisia Gentileschi

Artemisia Gentileschi est née à Rome en 1593, à l’aube du Seicento.

Son père Orazio Gentileschi est un peintre, ami de Caravage, qui connait un certain succès. Seule garzone (apprenti) femme de tout le quartier des peintres, Artemisia, beaucoup plus douée que ses frères, prépare les toiles, brosse les fonds, termine les tableaux de son père.

Elle quitte Rome pour se rendre à Florence en 1613 après avoir gagné son procès pour viol contre son professeur de dessin Agostino Tassi. À Florence, elle connait un immense succès. En 1616 elle est la première femme à être accueillie dans la prestigieuse Accademia del Disegno (Académie du Dessin).

Nous ne nous attarderons pas sur son viol, qui ne définit pas l’autoportrait que nous avons choisi de réinterpréter, mais on vous invite à regarder la vidéo de la National Gallery sur le sujet, réalisée dans le cadre de leur grande exposition sur Artemisia. On y voit notamment les archives du procès et on y entend le témoignage d’Artemisia.

Elle travaille pour toutes les têtes couronnées d’Europe : Urbain VIII, Louis XIII, Richelieu, Charles Ier en Angleterre, Philippe IV en Espagne… Tous veulent un “Artemisia” pour leur galerie. Elle est l’une des artistes les plus célèbres de son temps (une médaille de 1625 signale ainsi “Arthemisia Gentilescha Pictrix Celebris”).

Judith et sa servante, 1618-1619, Palazzo Pitti, Florence

Elle vit ensuite à Venise et Naples, où elle fréquente des académies et des cercles d’intellectuels. Elle rejoint ensuite Londres en 1639, avant de retourner définitivement à Naples. C’est là qu’elle réalise, aux alentours de 1638 et 1639, l’Autoportrait en allégorie de la peinture. C’est une période moins connue de la vie d’Artemisia et pourtant une de ses œuvres les plus célèbres.

s'inscrire dans une tradition

détail de La PITTURA

Mais Artemisia brise les codes dans sa représentation de cette allégorie : outre le retrait du bandeau sur sa bouche, elle la transforme en une toile naturaliste brute qui semble prendre vie.

Elle ignore les traditions de symétrie et de proportions parfaites du modèle pour se concentrer sur une composition forte, son mouvement vers l’avant préservé pour toujours dans une diagonale baroque audacieuse.

La composition en arc, qui suit les mouvements des bras, réunit la dualité de la peinture : théorie (art, élévation du pinceau) et pratique (artisanat, palette et pinceaux appuyés fermement sur la table).

Fondé sur les représentations allégoriques féminines de la peinture qui émergent au XVIe siècle, ce tableau reprend presque mot pour mot la figure décrite par Cesare Ripa dans son Iconologia (à découvrir sur Gallica) : la Pittura porte une chaîne dorée à son cou, ornée d’un pendentif en forme de masque, représentant l’Imitation ; sa bouche est couverte d’un bandeau, car la peinture est une poésie muette.

 

Échevelée, inspirée, elle tient les attributs de son art : pinceaux et palette.

 

Autoportrait en allégorie de la peinture, Artemisia Gentileschi, 1638-1639, Royal Collection, Londres

la virtuosité dans la matérialité

 Portrait d’Artemisia Gentileschi, SImon Vouet 1623-1626, Naples, Palais Royal

La toile d’Artemisia montre une peintresse au travail, le style semble brut (toile vierge dont on devine la texture, matériaux concrets de la peinture…).

Il est intéressant de comparer cette oeuvre au Portrait d’Artemisia par Simon Vouet.

Elle est représentée richement vêtue, en courtisane (en Artémise d’Halicarnasse, reine grecque du Ve s. av. J.-C., référence à son prénom) et bien qu’elle tienne les attribut de la peintresse, elle ne peint pas.

En comparant l’autoportrait d’Artemisia à celui d’artistes de son époque, on constate la virtuosité de la peintresse. Cette représentation est radicalement simplifiée : l’artiste émerge avec force comme la représentation vivante de l’allégorie. Peintresse, modèle et allégorie ne font qu’une.

Elle signe avec conviction : AGF, Artemisia Gentileschi Fecit. Cette inscription n’est pas anodine : le verbe “faire” met en avant la réalisation matérielle de la peinture et ainsi le talent brut de l’artiste.

sources et références

Cette bibliographie n’est pas une liste exhaustive mais simplement quelques ouvrages que nous avons utilisés pour réaliser nos recherches et cette photographie.

Beaudet Pascale, L’effet Judith : stéréotypes de la féminité et regard de la spectatrice sur les tableaux d’Artemisia Gentileschi, Thèse de doctorat, Rennes 2, Rennes, 2001, 300 p.

Garrard Mary D., Artemisia Gentileschi: the image of the female hero in Italian Baroque art, Princeton, N.J, Princeton University Press, 1989, 607 p.

Une étude fondatrice de l’historienne de l’art américaine qui revient sur la vie et l’oeuvre d’Artemisia avec une grande précision. Elle inscrit la peintresse dans son temps et analyse avec une grande intelligence un grand nombre de ses tableaux, dont son autoportrait.

Gentileschi Artemisia, Artemisia Gentileschi Carteggio = Artemisia Gentileschi correspondance introduction, traduction et notes de Adelin Charles Fiorato préface, édition critique et notes de Francesco Solinas, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Bibliothèque italienne »), 2016, 180 p.

Une édition bilingue (français et vieil italien) des lettres d’Artemisia ! Assez passionant pour comprendre comment travaille une peintresse au XVIIe siècle et pour connaître son cercle d’influence.

Gentileschi Artemisia, Contini Roberto, Solinas Francesco et Ciardi Roberto Paolo, Artemisia,1593-1654, Paris, Gallimard : Musée Maillol, 2012, 253 p.

Catalogue de l’exposition rétrospective sur Artemisia Gentileschi au musée Maillol (2012). Il permet de se faire une bonne idée de l’oeuvre complète de cette peintresse. Il contient de nombreuses analyses d’oeuvres et de remises en contexte, notamment par le biais de comparaisons avec des artistes contemporains.

Locker Jesse, Artemisia Gentileschi: the language of painting, New Haven ; London, Yale University Press, 2015, 236 p.

Cet ouvrage s’intéresse au style plus tardif (maniériste) d’Artemisia, souvent dénigré, ainsi qu’à la réception de son oeuvre par ses contemporains. Il nous éclaire aussi sur cette image de peintresse illettrée qui lui est attribuée alors qu’elle est en réalité très cultivée malgré son apprentissage tardif de la lecture et de l’écriture, en témoigne sa correspondance.

Un roman : 

Banti Anna, Artemisia, Paris, A. Mondadori, 1974

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